"Le mal n'est jamais spectaculaire à ses débuts. Le mal commence toujours gentiment, modestement, on pourrait dire : humblement. Le mal s'insinue dans l'air du temps comme de l'eau sous une porte. D'abord presque rien. Un peu d'humidité. Quand l'inondation survient, il est trop tard. Le mal a pour auxiliaires la tiédeur et le bon sens des braves gens. Le pire dans cette vie aura toujours été amené par ce qu'on appelle des braves gens.
(...)
Le monde n'est meurtrier que parce qu'il est aux mains de gens qui ont commencé par se tuer eux-mêmes, par étrangler en eux toute confiance instinctive, toute liberté donnée de soi à soi. Je suis toujours étonné de voir le peu de liberté que chacun s'autorise, cette manière de coller sa respiration à la vitre des conventions, et la buée que cela donne, l'empêchement de vivre, d'aimer."
Christian Bobin, "La plus que vive".