A toi...
Surtout n'écoute pas ce que je vais te dire.
Ne me regarde pas.
Ne te retourne pas.
Continue de partir…
Continuons à jouer, chacun pour soi,
Dignement,
Cette partition inachevée,
Jusqu’au bout de la dissonance.
Dansons-la, chacun dans sa nuit,
Cette valse lunaire
Où les destins saoulés de leur toute-impuissance,
Se trompent d’heure, de route, de sens,
Et rebroussent chemin, sans un regard,
En riant comme des fous dans le calme du soir ;
Où les dieux de l’absurde et du rien s’amusent
A bâtir puis écraser des mondes de cristal,
Indifférents au sort de leurs petits soldats
De carton.
Continue de partir, ne te retourne pas
Si tu te retournais… oh, si tu te retournais…
Continue l’absence,
Continue le vide.
Le simulacre d’un ordre nouveau,
La bienséance des émotions bien ordonnées,
Bien calibrées,
Lisses et tièdes comme un mauvais champagne
De lendemain de joie
Qui déchante ;
Des émotions,
Creuses comme mon ventre avorté qui hurle
Ouvert sur la nuit vide comme un soldat sans mère,
Et qui ne comprend pas encore
Que tout s’achève ici.
Creuses comme le manque,
Comme l’élan figé qui crucifie mes mains
En prière inutile,
Qui dresse au bord du gouffre
Mon poing planté au ciel.
Continue de partir, ne te retourne pas
Si tu te retournais… oh, si tu te retournais…
Laisse-moi te murmurer,
A voix si basse que tu n’entendras pas,
Des mots qui grondent
Comme torrent de montagne au dégel,
Sauvages et libres,
Chevaux andalous lancés à plein galop
Vers l’inconnu de terres nouvelles
Qu’ils n’atteindront jamais.
Des mots plus tendres aussi, frais comme brume d’été,
Et qui pour toi s’enrobent de miel et puis de feu
Pour te laisser en bouche
Ce goût unique et contrasté
D’une illusion douce-amère,
Echouée sur le sable de nos impossibles,
Mais qui palpite encore
D’un souffle de vie
Inutile.
Des mots
Que le vent cynique,
le vent grinçant
Emportera et empalera aux branches mornes
Des arbres déchiquetés,
Silhouettes mourantes
Tatouées sur le ciel de l’hiver
Comme autant de promesses âcres et dénudées,
D’où la sève s’enfuit
Abandonnant l’espoir
Au prochain renouveau.
Continue de partir, ne te retourne pas.
Ne te retourne plus.
Continue le chemin vers d’autres horizons,
Riche de ces quelques fleurs d’hiver
Inattendues,
Que nous avons maraudées
En riant
Sur les chemins buissonniers
De nos douces chimères.
Laisse-moi seulement semer quelques bouts de mon âme
Dans le sillon profond que tu laisses
Au creux de mon limon fertile ;
Dans cette terre odorante
Labourée de nos mains,
Béante et offerte.
Laisse-moi semer
Quelques graines timides,
Et puis attendre, en dormance moi aussi,
Comme ce sol nu au ventre ouvert.
Me lover, fœtus tourmenté terminant son voyage
Au cœur de l’impossible.
Laisser tourner les heures, les jours, les semaines, les mois…
Laisser œuvrer le temps, la lumière et la pluie,
Attendre l’embellie,
Pour que, peut-être,
Demain,
Après-demain
Lève le blé nouveau
Encore fragile et tendre
Mais dressé vers le ciel,
Généreuse récolte d’une saison nouvelle
Au ciel moins déchiré,
Aux couleurs apaisantes,
A la douceur tranquille.
Et pour que nous puissions un jour,
Ensemble,
Disperser dans le vent
Les cendres de nos rêves
Ayant changé de peau.
Françoise Jeurissen / Tinuviel
Décembre 2008