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Le temps des Avelines

Le temps des Avelines


Déchéance

Publié par Tinuviel sur 22 Janvier 2009, 13:30pm

Catégories : #POEMES EN VRAC


Qu'avez-vous fait de moi, sorciers malsains ? Tout n'est jamais que boue et cendres après votre passage.

 

Moi qui m’écoule, majestueux et fier, depuis des temps immémoriaux.

Moi dont la source jaillit, claire et sonore, de l'azur charbonné d’un glacier millénaire. Guilleret, je m'élance, pour célébrer en bouillonnant ma liberté nouvelle. Le mica de mes eaux encore vierges répond à l'incendie du soleil dévoilé en chatoiements frivoles. De ma cavalcade légère, troublante de pureté, j'épouse et je caresse la roche dure et coupante, pour la polir sans trêve de mes frôlements lancinants, de mon étreinte infatigable.

Moi dont les arpèges de cristal chatouillent en riant la candeur des alpages, avant de se diluer avec nonchalance, le temps d’une longue traversée, dans un lac paisible, alangui comme un riche seigneur en sommeil, et serti de montagnes flegmatiques et complices.

Moi qui me gonfle ensuite en généreux remous, avant de m’élancer, conquérant, à l’assaut des vallées et des campagnes, pour y porter la richesse de mes alluvions tendres et fertiles.

Depuis toujours, hommes et bêtes ont suivi mes méandres en se désaltérant de ma fraîcheur tranquille, rassurés par ma course invariable. J’ai abreuvé des milliards de fois l’homme fourbu ou la harde assoiffée. J’ai revivifié les cultures et arrosé les champs nourriciers, en y faisait ruisseler ma force et ma vigueur sans jamais me lasser.

Frontière naturelle et sacrée, j’ai guidé, voilà des millénaires, des hommes robustes et primitifs, dans leur fuite éperdue pour distancer les glaces éternelles.
J’ai séparé Empire et France, j’ai porté sur mes flots l’ambre et le bronze, j’ai relié entre-eux des peuples et des cités. Des villes d’Histoire se sont bâties, lumineuses, sur mes rives colorées, et s’y dressent encore fièrement aujourd’hui. J’ai transporté tant et tant de bateaux, j’ai vu défiler tant de pages de votre flamboyante et pathétique histoire humaine.

Et pourtant aujourd’hui, que suis-je grâce à vous ?

Déversoir putride, je vomis l’humanité à chaque seconde, charriant ses ordures par monceaux. Je suis défiguré, damé et bétonné, corrompu par vos déjections industrielles et vos rebuts sans nombre et sans nom. Mon haleine exhale la pestilence et la mort.

De ma splendeur passée, de la générosité de mes eaux impétueuses et fécondes, plus rien ne subsiste, que le triste spectacle d'un cloaque fangeux à l'odeur de charogne, empoisonnant en un baiser mortel mes berges désertées.

Je suis le Rhône.
J’étais source de vie. J’étais l’arrogance et la puissance d’un fleuve souverain.

Et maintenant j’agonise.

 

 

Françoise Jeurissen/Tinuviel

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